Peut-on modifier les comportements de sécurité en faisant peur ?

par Philippe Dylewski

Les appels à la peur sont des messages qui tentent de persuader les gens du préjudice potentiel qui pourrait leur arriver s’ils n’acceptent pas les recommandations des messages. L’idée est assez simple et utilisée depuis toujours : si on réussit à effrayer suffisamment les gens, ils adopteront massivement le comportement attendu pour que la terreur disparaisse.  C’est logique, pas compliqué, mais pas toujours très efficace. 

Les appels à la peur ont trois composantes principales : le message, le public et le comportement recommandé. Il existe de nombreux messages qui transmettent des informations importantes sur les dangers potentiels. Toutefois, pour que le message ait un quelconque effet, il doit porter sur des questions qui suscitent des quantités critiques de peur et s’adresser aux personnes les plus sensibles au risque. Par exemple, un message traitant de la nocivité de la conduite en état d’ivresse n’aura aucun effet sur les personnes qui ne conduisent pas ou ne boivent pas d’alcool. Mais le message peut servir d’incitant à ne pas commencer un comportement dangereux. 

Les messages sur le cancer du sein s’adressent généralement aux femmes, qui courent un plus grand risque personnel de dommages corporels que les hommes (bien que les hommes puissent être touchés par leur inquiétude pour les femmes qu’ils aiment).

Le troisième élément – le comportement recommandé – est important car il donne des instructions sur ce qu’il faut faire pour éviter ou réduire le risque de dommage. Se contenter d’effrayer les gens sans leur donner un moyen efficace d’éviter ou de gérer la situation n’est pas un moyen très influent de motivation comportementale.

Il ne fait aucun doute que la plupart d’entre nous ont été exposés à des campagnes d’appel à la peur concernant des questions de santé, de politique, de sécurité routière et de conduite. Par exemple, Les messages d’intérêt public sur les dangers que courent les jeunes qui entrent à l’université, indiquant la nocivité des maladies sexuellement transmissibles et promouvant les « pratiques sexuelles sûres ».

Les avis divergent quant à savoir si les « appels à la peur » sont productifs ou contre-productifs. Par exemple, si le message est si extrême qu’au lieu d’être influencé par lui, le public pourrait ignorer complètement l’information. En substance, la peur décrite dans le message est si grande que, plutôt que d’y faire face, les gens cessent de l’écouter, de le regarder ou de le lire. Dans de telles situations, ils peuvent également critiquer la nature du message et s’auto-justifier de ne pas modifier leurs attitudes et leur comportement. 

Il est également possible que le fait de susciter la peur entraîne une réaction défensive ou un  déni du risque, en particulier chez les personnes les plus sensibles à la menace. Par exemple, après avoir visionné des messages d’appel à la peur à propos de l’alcool au volant, certaines personnes qui boivent et conduisent peuvent réagir en affirmant que leur consommation d’alcool n’affecte pas leurs compétences de conduite et que le message ne s’applique donc pas à elles.

La peur seule ne change pas le comportement. Nous pouvons apprendre que certains comportements que nous adoptons sont potentiellement dangereux, pourtant, nous continuons à les adopter. Par exemple, nous pouvons apprendre que la prise d’une trop grande quantité d’analgésiques en vente libre peut causer des dommages au foie, mais nous continuons à en prendre parce que la douleur est plus forte et plus immédiate que la crainte de potentiels dommages au foie.

Les messages de peur qui font savoir au public qu’il peut effectuer le comportement recommandé ou que ce comportement aura un résultat positif sont plus efficaces que les messages d’appel à la peur sans mention des actions recommandées.

Les appels à la peur qui recommandent des comportements ponctuels sont plus efficaces que ceux qui recommandent des comportements répétés.

Il est clair que les appels à la peur ne provoquent pas seulement des réactions de peur. Ils peuvent susciter des sentiments de dégoût, de colère, d’anxiété ou de culpabilité. Ces émotions peuvent également avoir un effet sur les changements de comportement.

Les appels à la peur sont une forme de communication persuasive. Comprendre votre public aidera à concevoir une campagne mieux orientée vers les personnes ciblées. Il faut toutefois veiller à ne pas stigmatiser le public ou à ne pas faire preuve de préjugés à son égard, car cela pourrait se retourner contre vous. En d’autres termes, le message pourrait non seulement être rejeté par le public, mais le comportement que le message vise à modifier pourrait s’enraciner davantage.

Pour résumer, vos campagnes de prévention peuvent utiliser des messages basés sur la peur, sachant que ces campagnes :

  • Auront surtout un impact préventif auprès de ceux qui n’ont pas encore adopté le mauvais comportement. Comme pour les campagnes de prévention anti-drogue, elles n’ont aucun impact sur ceux qui consomment déjà.
  • Les messages trop effrayants ne semblent pas être efficaces car provoquent rejet ou déni.
  • Le message doit aussi contenir une solution, c’est-à-dire le comportement à adopter pour éviter les conséquences de la situation effrayante.
  • Doivent éviter de stigmatiser ceux qui adoptent un comportement inadéquat car cela a tendance à renforcer le comportement indésiré.
  • Auront surtout un impact sur un comportement ponctuel plutôt que sur un comportement à long terme. 
  • Les messages impliquant un gain fonctionnent mieux que les appels parlant d’une perte (par exemple, la perspective d’une blessure est une perte, alors que des vacances joyeuses sont une perspective de gain).

Supposons que vous souffriez d’une grave maladie cardiaque et que votre médecin vous propose une opération éreintante. Vous êtes naturellement curieux de connaître les chances de survivre à cette épreuve. Le médecin vous dit : « Sur cent patients qui ont subi cette opération, quatre-vingt-dix sont encore en vie après cinq ans. » Que ferez-vous ? Cette affirmation peut vous rassurer et vous inciter à vous faire opérer.

Mais supposons que le médecin formule sa réponse d’une manière quelque peu différente. Supposons qu’il dise : « Sur cent patients ayant subi cette opération, dix sont morts au bout de cinq ans. » Si vous êtes comme la plupart des gens, la déclaration du médecin vous paraîtra plutôt alarmante et vous pourriez ne pas vous faire opérer. Instinctivement, vous pourriez penser : « Un nombre important de personnes sont mortes, et je pourrais être l’une d’entre elles ! ». Dans de nombreuses expériences, les gens réagissent très différemment à l’information selon laquelle « quatre-vingt-dix personnes sur cent sont vivantes » ou « dix personnes sur cent sont mortes » – même si le contenu des deux déclarations est exactement le même. Même les experts sont soumis aux effets du cadrage. Lorsqu’on dit à des médecins que « quatre-vingt-dix sur cent sont vivants », ils sont plus susceptibles de recommander l’opération que si on formule que « dix sur cent sont morts ».

Une communication basée sur la peur est très délicate à mettre en pratique, même si de nombreuses recherches montrent un certain niveau d’efficacité. Si vous décidez d’utiliser ce genre de message, je vous suggère d’abord de tester vos campagnes avant de les lancer. Sinon…

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