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La vigilance partagée, comment y arriver ?
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par Philippe Dylewski
La vigilance partagée consiste à veiller à la sécurité de tous, quel que soit le niveau hiérarchique, de façon bienveillante et à accepter les remarques des autres. En gros, il s’agit de veiller les uns sur les autres, partant du principe qu’il est impossible d’être attentif à soi non-stop. Dit comme ça, ça ressemble à un beau concept de solidarité, pour ne pas dire de fraternité. Lorsque vous demandez aux opérateurs, ce qu’ils en pensent, l’immense majorité des gens y adhèrent. La vigilance partagée est une idée relativement récente dans l’industrie, au plus une dizaine d’années. De toute façon, sa mise en œuvre aurait été impossible à une époque encore récente, où un chef aurait répondu de façon agressive ou menaçante à une remarque, même aimable, venant d’un collaborateur. Mais les temps changent, et les abus de pouvoir, les hurlements époumonés, les « c’est moi le chef » et autres « tu donneras ton avis quand on te le demandera » commencent un peu à sentir le rance. Aujourd’hui, faire une remarque aimable à son chef est non seulement possible, mais souhaité. En tout cas, dans les grandes structures. Dans la pratique, si à peu près tout le monde trouve l’idée bonne, elle a un peu de mal à faire son chemin. Parce qu’il existe des freins, des peurs et des résistances, dont notre culture est à l’origine.
Lorsque vous demandez aux opérateurs pourquoi ils hésitent à pratiquer la vigilance partagée, vous entendez systématiquement les mêmes réactions :
· « je suis pas son chef, j’ai rien à lui dire »
· « je suis pas une balance »
· « c’est mon chef, je me vois mal lui faire une remarque, j’ai pas envie de subir les conséquences »
· « c’est mon chef, il est supposé montrer l’exemple et savoir ce qu’il fait »
· « j’ai pas envie de me faire engueuler ou remballer par le collègue »
· « on est tous des adultes ici, chacun sait ce qu’il a à faire »
· « je me mêle pas des affaires des autres »
Pourtant, sur le fond, les gens sont presque tous d’accord pour dire que la vigilance partagée, c’est une bonne idée. En réalité, les obstacles sont à la fois culturels et psychologiques. Culturels dans la mesure où dans nos traditions, c’est le rôle du chef de faire des remarques à ceux qui ne le sont pas. C’est comme ça depuis des centaines d’années, sans doute plus, et ça n’est pas une croyance si facile à changer. Psychologiques parce que le vrai frein à la propagation de la vigilance partagée, c’est l’effet de groupe. La raison majeure pour laquelle les gens ne font pas de remarques sécurité à leurs collègues ou chefs, c’est tout simplement parce que les autres ne le font pas. Dans les entreprises qui ont totalement intégré la vigilance partagée, faire une remarque à un collègue ou un chef est la norme sociale, donc tout le monde le fait et quand un nouveau arrive, il voit que c’est comme ça qu’on fait ici, et il s’y met naturellement à son tour.
En ce qui concerne la mise en place de la vigilance partagée, il y a des choses à faire et à ne pas faire. La première chose à ne pas faire est de rendre obligatoire la vigilance partagée. Cela vous semble une évidence, tant l’idée est absurde ? Oui moi aussi, pourtant je l’ai vu faire dans un total fiasco. Vous ne pouvez pas obliger les gens à faire attention les uns aux autres, c’est impossible. La liberté de le faire ou pas doit être laissée à chaque personne. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas influencer les choix.
Se contenter d’expliquer ce qu’est la vigilance partagée est une fort mauvaise idée. Ca ne suffira pas à modifier des comportements bien implantés. Ce dont vous avez besoin, c’est que les opérateurs mettent l’idée en pratique. Un truc que j’utilise, c’est que dans un groupe, si j’ai un chef d’équipe dans la salle, c’est presque toujours le cas, je demande au chef s’il est d’accord que, à partir de tout de suite, s’il ne respecte pas une règle de sécurité, que son équipe le lui signale gentiment. En fait, j’insiste en disant, « ce n’est pas que vous pouvez lui dire, c’est qu’il attend que vous le fassiez.» Mais ça ne suffit pas encore. Alors, le chef dit quelque chose comme : « à partir de maintenant, si je suis en danger ou que je suis distrait ou hors sécurité, ce serait sympa de me le signaler. GENTIMENT !! » A notre époque, c’est plutôt facile à faire passer car souvent, le chef d’équipe est proche de ses troupes et personne ne le craint vraiment. Ça marche. Le processus est presque toujours le même. Au début, les salariés le font en rigolant, pour tester l’idée, puis petit à petit, ça devient la nouvelle norme sociale. Bien sûr, c’est délicat. Parce que si vous recevez dix remarques par jour, ça va vite vous énerver. Pareil, si vous êtes interpellé pour des bêtises. Mais tout le monde comprend l’intérêt du concept : protéger les autres et compter sur les autres pour me protéger. Souvent, je fais le parallèle avec les unités d’élite de la police ou de l’armée, où la vigilance partagée est mise en pratique au plus haut degré, et ça passe très bien, parce que les gens se rendent compte que des gens qu’ils admirent et respectent le font déjà. C’est vrai que quand vous voyez un groupe du GIGN rentrer dans un bâtiment avec un gendarme qui regarde uniquement devant, un autre qui regarde exclusivement sur la gauche, un autre sur la droite, vous vous rendez compte que là, on est à un sommet de la vigilance partagée, puisque je laisse carrément ma vie entre les mains de mon collègue. La vigilance partagée, c’est aussi ça : le développement d’une grande confiance mutuelle.